Consommez-vous du saumon d’élevage ?

Chère amie, cher ami,

Peut-être avez-vous vu le reportage d’Arte sur les saumons sorti récemment par la chaîne franco-allemande.

Si ce n’est pas le cas et que vous n’avez pas prévu ou pas le temps de le voir dans l’immédiat (la vidéo est disponible ici), je vous en offre un résumé dans ma lettre du jour.

Animal emblématique de la Norvège, le saumon de l’Atlantique est admiré pour sa puissance et son énergie [1].

Toutefois, depuis l’apparition des fermes d’élevage, le saumon se trouve menacé, ce qui émeut de plus en plus de Norvégiens, notamment les pêcheurs qui le voient disparaître des rivières, et les amoureux de la nature.

Elevage, quel est le problème ?

Comme souvent avec l’industrie, le premier problème lié aux fermes de saumon, c’est la quantité.

Dans les années 80, il y avait plus d’un million de saumons sauvage dans les rivières de Norvège et très peu d’élevage.

En 2020, les saumons sauvages sont deux fois moins nombreux, les scientifiques estiment leur population à 530 000 individus, alors qu’il y en aurait entre 350 et 400 millions dans les fermes. Ils sont répartis sur 1428 concessions, accordées par l’Etat norvégien, le long des rivières et des côtes du pays.

En 40 ans, les saumons sauvages ont disparu des deux tiers des cours d’eau de Norvège.

Ils peuplaient 1288 cours d’eau en 1980, 687 en 2000 et 450 en 2020…

Quel est le lien avec l’élevage ?

Les fermes de saumons posent trois défis majeurs à la survie du saumon sauvage :

  • l’augmentation considérable du nombre de saumons a décuplé les parasites de ce poisson. Le pou du saumon notamment, provoque de nombreux décès dans les deux populations. Les saumons sauvages, qui remontent les rivières où se trouvent des fermes, sont infestés de poux à leur tour. Ils meurent par dizaines de milliers.
  • les déjections de saumons acidifient les rivières : les saumons sont trop concentrés, ils polluent leur propre environnement. Résultat : dans certaines fermes, ils sont en très mauvaise santé. Ils sont malades, couverts de plaies et meurent par millions. 50 millions de saumons mourraient chaque année dans les élevages de Norvège ! Pour les autres poissons des rivières, dont les saumons sauvages, ce pourrissement de leur écosystème est délétère. On est bien loin de l’image des jolis fjords traversés par des cascades d’eau pure…
  • les saumons d’élevage s’enfuient de leurs fermes concentrationnaires. Ce faisant, ils frayent avec les saumons sauvages et abîment le patrimoine génétique de ces derniers. En effet, les saumons d’élevage ne remontent pas les rivières, consomment beaucoup de matière végétale et sont souvent malades. La fraie entre les deux sortes de saumons donne des poissons inaptes à la vie sauvage et menace un peu plus l’espèce. Officiellement, 183 000 saumons s’échappent des fermes, mais certains scientifiques craignent ce ne soit bien davantage.

L’ennui, c’est que l’industrie du saumon est si florissante que les autorités norvégiennes et les acteurs du secteur souhaitent multiplier par 5 la production de saumon d’ici 2050 !

A ce rythme, le saumon sauvage aura bientôt disparu du patrimoine naturel et culturel des Norvégiens… Il leur restera le commerce de saumons artificiels…

Le saumon d’élevage, un “faux” saumon ?

L’incroyable succès des ventes du saumon norvégien dans le monde vient de la perception que l’on a de ces animaux extraordinaires à l’état sauvage.

Leur périple est fascinant.

Ils fraient dans les rivières de Norvège. De là naissent des millions d’alevins gris.

Ils descendent la rivière jusqu’à l’océan où ils vont vivre un, deux ou trois ans. Et leur taille varie selon temps passé dans la mer.

Ils y consomment essentiellement des micro-crevettes, qui va leur donner leur couleur rosée ou rouge car elles contiennent un pigment naturel : l’astaxanthine.

Puis, défiant les lois de la gravité, les saumons remontent le cours d’eau qui les a vu naître. De cascade en cascade, ils parviennent au lieu de fraie originel. Ils ne se trompent jamais. C’est comme s’ils avaient un GPS intégré.

Ils fraient à leur tour et leur descendance prend le même chemin qu’eux. Le saumon sauvage de l’Atlantique peut faire ce trajet plusieurs fois au cours de sa vie. Et depuis la nuit des temps, cette aventure périlleuse recommence…

Voilà pourquoi cet animal est si inspirant.

Dans les fermes, l’histoire est bien différente. Les saumons ne remontent pas la rivière et sont semi-végétariens. On les nourrit avec des granules qui contiennent du soja OGM venu d’Amérique Latine, des farines de poisson et de l’huile de poisson. Conséquence : ils sont tout gris et bien moins vaillants. Pour qu’ils soient tout de même un peu rouge, on leur ajoute de l’astaxanthine artificiel.

Ce n’est pas le film avec Louis de Funès, L’aile ou la cuisse, dans lequel les poissons industriels sont peints, mais on n’en est plus très loin !

Dans les fermes bio, ils ne sont sans doute pas nourris aux OGMs et les fermes sont moins concentrées. Mais, compte tenu du mode de vie de ce poisson, l’idée même de son élevage est une aberration !

Quand l’Atlantique s’agrandit pour inclure les côtes… chiliennes !

Ce commerce d’or rose est si florissant que les Norvégiens ont investi au Chili pour y développer des fermes de saumons de l’Atlantique !

Là-bas, ce ne sont pas les consciences écologistes qui s’émeuvent mais sociales. Car l’industrie du saumon y maltraite les ouvriers, souvent blessés sur les sites de production, tandis que l’essentiel de la manne rapportée par ces entreprises repart en Norvège.

Il y aurait même parmi les plongeurs un taux élevé de mortalité lié aux conditions de travail extrêmes qui leur sont imposées.

Les populations locales ont l’impression d’y perdre plus qu’elles n’y gagnent.

Et l’enjeu écologique, à l’heure où les entreprises du saumon lorgnent dangereusement sur la nature vierge de Patagonie, est lui aussi essentiel. 

Il est grand temps que certaines zones du monde, comme la Patagonie, soient sanctuarisées !

Pour les populations locales, ce seraient par ailleurs un investissement pour l’avenir. Car d’ici quelques années, quel pays pourra encore se targuer de disposer d’espaces naturels et sauvages épargnés par l’esprit de lucre humain ?

Renaturer, un travail de longue haleine

Tout n’est pas noir dans ce monde de brutes !

Une équipe de scientifiques tente de réintroduire le saumon de l’Atlantique dans le Rhin qui, autrefois, était l’un des fleuves les plus habités par ce poisson en Europe !

Toutefois ce travail, financé en partie par l’Union européenne, prend du temps.

Des centaines de milliers d’alevins sont réintroduits dans le fleuve tous les ans dans l’espoir de reconstituer une population stable d’ici une vingtaine d’années.

Mais, entre les sites industriels, les barrages hydroélectriques et l’activité humaine, ce projet n’est pas simple à mener !

Et en France ?

Au début du XXe siècle, le saumon était abondant dans toutes les rivières de France.

La pêche au saumon était une activité courante partagée par des centaines de milliers de Français !

Il ne vit plus aujourd’hui que dans quelques fleuves côtiers de la Bretagne ou des Pyrénées.

Sa disparition est liée à :

  • la surpêche, la pollution de l’eau ;
  • la dégradation des habitats et zones de fraie ;
  • l’artificialisation des cours d’eau et de leur débit ;
  • les barrages infranchissables ;
  • le réchauffement climatique.

Faire revenir le saumon dans nos rivières devrait être possible car aucune des causes de sa disparition, même le réchauffement climatique, n’est insurmontable.

Mais cela demande une volonté politique forte et une transformation en profondeur de notre relation à l’environnement.

Il faudrait notamment :

  • déclarer les rivières “zones bio” et n’avoir que des cultures biologiques et non industrielles le long des rivières ;
  • davantage d’arbres le long des rivières afin d’en préserver la fraîcheur ;
  • accepter que certains bords de rivières ne soient pas artificialisés, ce dont les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience [2] ;
  • améliorer les échelles de passage pour les poissons sur les cours d’eau ;
  • créer ou renforcer des programmes spécifiques pour améliorer l’état des fleuves.

Et le consommateur ?

Vous l’aurez compris, consommer du saumon d’élevage aujourd’hui n’a aucun intérêt.

Ce sont, bien souvent, des poissons malades, nourris au soja OGM, ce qui participe à la déforestation de la forêt amazonienne.

Ils ne sont roses que par l’opération de l’astaxanthine de synthèse.

Il ne vous apporte rien au niveau de la santé.

Si vous souhaitez manger des poissons gras, ce qui est conseillé par les nutritionnistes, mieux vaut consommer des sardines et des harengs.

L’une des solutions pour le saumon viendrait des fermes en circuit fermé construites sur terre avec des bassins totalement clos.

Encore faudrait-il que les populations n’y soient pas trop denses et que la transparence sur la manière dont ils sont élevés soit totale, par exemple avec des caméras de surveillance…

Peut-on se passer des fermes aux mille vaches ou millions de saumons ?

La question des fermes de saumons pose un problème plus général : celui de l’élevage intensif.

Que ce soit en mer ou sur terre, les élevages intensifs provoquent de la maltraitance animale et des problèmes écologiques majeurs.

La seule manière de sortir de cette situation est de limiter la consommation de viande et de poisson et d’en faire des produits de luxe, ce qu’ils étaient autrefois.

Il n’est pas nécessaire de consommer tous les jours de la viande ou du poisson.

Si l’apport de protéines animale est bon pour la santé, prendre des oeufs bio une ou deux fois par semaine, des petits poissons gras une fois par semaine, de la volaille bio de temps en temps, et du boeuf une fois par mois est largement suffisant.

Cela est d’autant plus vrai si vos produits sont de qualité !

Mais les niveaux de consommation actuels de viande et de poisson sont bien plus élevés que cela.

Vers une agriculture bio, locale et autosuffisante ?

L’autre changement majeur, qui ne plairait pas aux Norvégiens, serait que les consommateurs se tournent exclusivement vers les produits bio et locaux.

Au quotidien, vous ne consommeriez que des produits de votre région ou de votre pays par exemple. Les aliments produits à plus de 500 km de chez vous seraient l’exception.

Ce serait la fin de l’agriculture intensive d’exportation et le retour à une alimentation de qualité.

Ce serait aussi assurer la souveraineté alimentaire dans la plus grande partie du monde, sauf certaines zones très urbanisées.

Nature et Progrès…

Pour nos grands-pères et arrière-grands-pères, la civilisation, c’était la conquête du monde sauvage : le train, les avions, les antibiotiques… Pour nos enfants et petits-enfants ce sera la capacité de vivre en harmonie avec la nature.

Cela n’exclut pas le progrès…

Mais si le passé d’homo sapiens a montré qu’il nous était possible de survivre avec la nature sans trop de technique, le progrès, lui, n’a pas encore fait la preuve qu’il pouvait se passer de la nature…

On parle souvent de la maltraitance des animaux qui sont des êtres sensibles. Et on a raison. Mais prendre soin des animaux et de la nature, c’est aussi redonner de la dignité aux êtres humains. Et ce n’est pas un détail. 

Bref, notre avenir et notre dignité passent par une réconciliation nécessaire avec la nature.

Le saumon sauvage n’est pas contre.

Naturellement vôtre,

Augustin de Livois

 


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