La solitude est-elle une fatalité ?
Il y a quelques jours, je suis tombé sur une belle conférence de la psychologue américaine, Teal Swan, sur la solitude.
C’était une introduction à son livre portant sur le sujet.
Vous retrouverez la vidéo ici. Elle est en anglais sous-titrée en anglais(1).
Aux États-Unis, cette jeune femme est un phénomène. Elle est suivie par des millions de personnes. Elle est moins connue en Europe.
Sur la forme, son propos ou ses exemples peuvent parfois paraître excessifs.
Cela est lié à la vie qu’elle a vécue qui n’a, semble-t-il, pas toujours été simple.
Elle explique avoir vécu des traumatismes dans son enfance dont elle a mis du temps à se relever.
Elle est également d’une grande sensibilité.
Mais il ne faut pas s’y tromper. Elle aborde la question de la solitude avec un indéniable discernement.
Et ses paroles méritent votre attention.
Voici les éléments clefs que j’en ai tirés.
1/ L’être humain est un animal social
Quel animal met 20 ans à devenir adulte et a besoin, pour cela, d’être constamment aidé et orienté par les adultes autour de lui ?
C’est l’être humain.
Tout ce que vous êtes, vous le devez aux adultes autour de vous qui, des années durant, ont pris soin de vous.
Ces adultes vous ont légué un héritage culturel.
Il y a le bon, le moins bon, la part traumatique peut-être.
Il y a ce que vous avez décidé de garder, ce que vous avez rejeté et ce qui reste encore tapi dans l’ombre que vous n’avez pas encore osé explorer.
2/ Les addictions sont souvent liées à la solitude
Personne n’est fait pour vivre et agir seul.
Et ce message s’inscrit en contradiction avec bien des injonctions de la société actuelle qui vous promet que par la force de votre carte bancaire vous pourrez tout faire par vous-même et pour vous-même.
Ce postulat est faux.
Ce sont les liens que vous créez avec les autres qui donnent du sens à votre vie et vous apportent la joie.
La psychologue insiste. Le lien avec les autres est plus important que la nourriture.
Quelqu’un qui vient de vivre une séparation amoureuse ou un deuil souffre au point de ne plus vouloir s’alimenter.
Chez les êtres humains, l’interdépendance est telle que le lien l’emporte sur tout le reste.
Et la solitude crée un stress.
Le système nerveux central lui-même s’inquiète de votre manque de lien avec les autres.
Les addictions sont un moyen de soulager le stress, d’évacuer la peur que crée la solitude.
3/ La solitude vient d’une fragmentation intérieure
Mais pour Teal Swan ce n’est pas le cas.
Elle estime que la solitude vient du vide créé par la fragmentation intérieure d’une personne.
En clair, il existe chez vous, chez moi, plusieurs personnalités amalgamées.
Et elle ne parle pas du dédoublement de personnalité pathologique, qui est une situation incontrôlée.
Elle parle du fait qu’il existe dans chaque conscience humaine, différents “moi”.
Ces différentes personnalités ou facettes se seraient créées à la suite de traumatismes ou d’événements vécus comme tels.
C’est, par exemple, la colère d’un parent pour une “bêtise” d’enfant. L’enfant apprend à avoir peur ou honte de son comportement.
Le sentiment reste et l’enfant cache cette part de lui-même.
À chaque fois, que dans votre vie et plus particulièrement dans l’enfance, un traumatisme est venu, cela a pu créer une division intérieure.
Or la conscience humaine, fondamentalement, recherche l’unité.
Votre bonheur, votre joie profonde passent par votre capacité à être vrai et authentique.
Cela veut dire que plus vous parviendrez à unifier les différentes parties de vous-même, moins vous ressentirez de solitude et plus votre rapport aux autres sera facile.
L’exemple de l’enfant abandonné par son père
L’enfant a 4 ans. Son père quitte le domicile familial. La raison n’est pas donnée.
La mère, jusque-là, travaillait à mi-temps. Elle décide de passer à temps plein.
L’enfant se dit : papa est parti, je dois me débrouiller seul. Je dois m’appuyer sur la part de moi-même qui est forte, indépendante, celle qui n’a pas besoin des autres.
L’enfant grandit et devient cette personne. Et les autres, quand ils décrivent cette personne, disent qu’elle est forte, indépendante et qu’elle n’a pas besoin des autres.
Sauf qu’une part de cette personne a été laissée derrière elle. La partie vulnérable, celle qui a besoin des autres, de leur amour, de leur soutien, etc.
Parfois, les patients retrouvent cette part en tombant malades, en contractant un cancer ou en devenant paraplégiques.
À ce moment-là, alors qu’ils sont vulnérables et dépendants des autres à nouveau, ils redécouvrent cette part d’eux-mêmes qu’ils avaient oubliée.
Et ils s’en rendent compte.
Mais il n’est pas forcément nécessaire de tomber malade pour aller à la rencontre de soi.
4/ La relation aux autres est un écho de la relation intérieure
S’il existe en votre for intérieur une disharmonie entre plusieurs voix qui aimeraient pouvoir s’exprimer, le conseil de la psychologue est de vous mettre à l’écoute de la voix qui se tait, mais qui aimerait qu’on l’entende.
L’idée est que vos difficultés avec les autres sont le reflet de vos contradictions intérieures.
En prenant en compte ces différents intérieurs, en les acceptant et en les écoutant, vous serez davantage en paix avec vous-même et avec les autres.
5/ Le dialogue intérieur est libérateur
Mais dans votre enfance, cela vous a été interdit. On vous reprochait de faire trop de bruit, de perturber le groupe. Vous êtes rentré dans le rang comme un enfant sage.
Résultat, ce besoin d’attention ou de reconnaissance n’a jamais été totalement comblé.
Cela peut être autre chose.
Quelle vulnérabilité avez-vous toujours cachée ?
Quel besoin avez-vous toujours sacrifié ?
Quelle est la partie de vous-même qui est passée sous silence ?
Quel compromis pouvez-vous trouver pour que cette partie puisse exister ?
Ces questions peuvent être difficiles ou douloureuses.
Peut-être avez-vous besoin d’un accompagnement thérapeutique seul ou en groupe pour y répondre.
Une chose est sûre : en acceptant vos failles, vos craintes, vos déceptions qui, souvent, s’expriment à travers des émotions, vous réalisez un travail thérapeutique.
Paradoxalement, en écoutant les parties, qui dans votre for intérieur, demandent à être entendues, vous faites un exercice de lâcher-prise.
Soudainement, vous laissez la vie agir en votre for intérieur.
Vous n’êtes plus en contrôle total.
Il y a là quelque chose d’assez mystérieux.
En lâchant prise, vous permettez à vos voix intérieures de s’harmoniser entre elles.
Et cela facilite vos relations avec le monde extérieur.
6/ L’engagement comme réponse à la solitude
Pour résister à la tentation, elle s’est dit: “je vais m’accorder encore 5 minutes que je vais vivre pleinement”.
Puis, elle s’est accordé 1 demi-heure, puis une heure, une demi-journée, une journée et ainsi de report en report, elle a repoussé son désespoir.
Cette idée existe déjà chez les poètes comme Rudyard Kipling qui dans son poème “Si” encourage le lecteur à mener une vie pleine et engagée sans perdre son âme.
La dernière strophe de son poème dit ceci :
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds’ worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And – which is more – you’ll be a Man, my son!
Je la traduirais ainsi :
Si vous pouvez combler chaque minute qui passe irrémédiablement
par soixante secondes qui méritent chacune d’être vécue,
la terre et tout ce qu’elle contient, vous appartiennent,
Et – ce qui est mieux – vous serez un Homme, mon fils.
L’idée est qu’une vie pleine, engagée et vraie vous permet d’unir les différentes facettes qui vous constituent.
Et grâce à cela, vous pouvez traverser la vie sans craindre de vous perdre ou de vous égarer, sans craindre la solitude ou les addictions.
7/ La rencontre des monstres intérieurs vous permet de les apprivoiser
Elle explique qu’elle travaille avec des criminels.
Ces personnes sont en prison.
Pour elle, les prisons représentent la part de l’humanité que l’on rejette. La part de l’humanité dont on a honte et qui nous fait peur.
Il s’agit de la part monstrueuse de l’humanité, qui pourtant fait partie intégrante de la société.
Et elle explique que cette part de monstruosité qui engendre des actions inacceptables fait aussi partie de chacun d’entre nous.
Et c’est en acceptant sa propre part de “monstre” qu’elle peut aller à la rencontre de ceux qui ont commis des crimes atroces et de les accepter comme des humains à part entière.
Voilà une proposition audacieuse.
8/ L’ombre de Carl Gustav Jung…
Par exemple, Carl Gustav Jung, médecin et psychiatre suisse du XXe siècle, utilisait déjà la notion de l’ombre.
L’ombre est la part inconnue de chaque être humain.
Elle représente ce qui a été refoulé par l’enfant dans l’inconscient par crainte d’être rejeté par les personnes importantes de sa vie : ses parents, ses éducateurs et la communauté dans laquelle il a grandi(2).
Il s’agit des parties considérées comme redoutables et honteuses.
Elles se manifestent à travers des jugements, des rejets, des peurs et sont à la base des préjugés moraux et sociaux.
Jung pensait qu’il était possible de vivre avec son ombre et de pacifier cet univers caché et inquiétant.
Aller à la rencontre de la part de “monstre” qui est en soi, c’est aussi aller à la rencontre d’une part blessée, déformée par la peur et la honte.
Ce chemin demande du courage.
Il permet, cependant, de mieux s’accepter et de mieux s’aimer et ainsi de mieux accepter les autres et de mieux les aimer.
Cela en vaut la peine, non ?
Naturellement vôtre,
Augustin de Livois
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