L’expérience d’Acali : le radeau du bonheur !

Chère amie, cher ami,

Connaissez-vous l’expérience qui a rendu célèbre l’anthropologue Santiago Genovés(1,2,3,4) ?

À dire vrai, cette histoire lui a coûté son travail et sa réputation.

Pour autant, ce qui s’est passé est intéressant à plus d’un titre.

1973 : un projet pour la paix

Santiago Genovés appartient à la première génération des “anthropologues physiques” aussi appelés anthropologues biologistes. Ces scientifiques analysent le comportement humain en se focalisant sur la biologie(5).

Son doctorat, obtenu à l’université de Cambridge au Royaume-Uni, porte sur la violence.

Il en a, du reste, été un témoin direct avec la guerre civile espagnole qu’il a connue alors qu’il n’avait qu’une quinzaine d’années. Il avait alors fui avec sa famille dans des conditions dramatiques(1).

Santiago sait que, chez certains grands primates, la violence est récurrente et qu’elle peut venir des tensions sexuelles au sein d’un groupe(4,5).

Il souhaite démontrer que chez les êtres humains ce comportement existe également(2,5).

Il veut analyser l’origine de la violence chez les êtres humains afin, dit-il, de trouver une solution pour la paix universelle.

On est en plein dans les années 70. Woodstock n’est pas loin et la libération des mœurs grâce à la pilule non plus.

Une transatlantique d’un genre curieux…

Santiago Genovés décide d’organiser un voyage sur un radeau dans des conditions extrêmes(1,2).

Le radeau mesure 12×7 mètres. Il dispose d’une voile. La nourriture est fournie à l’équipage.

Il est équipé d’une cuisine et le cuisinier est grec.

Il y a des toilettes extérieures, visibles de tous.

L’équipage dort dans une cabine commune.

Deux canots de sauvetage sont là, au cas où.

Le radeau s’appelle Acali, ce qui signifie “maison sur l’eau” en langue nahuatl.

À son bord on compte cinq hommes, dont l’anthropologue lui-même et un prêtre algérien, sorti d’on ne sait où.

Les femmes sont aux commandes, du moins officiellement.

Maria Bjornstan, d’origine suédoise, est la capitaine de l’embarcation.

Edna Jonas, d’origine tchèque de confession juive, est médecin à bord.

La personne en charge de plonger en cas de problème sous le radeau est aussi une femme.

Le radeau part de Las Palmas aux Canaries en direction de Cozumel au Mexique.

Le voyage dure 101 jours.

Un avant-goût de téléréalité

L’idée saugrenue de l’anthropologue est de créer les conditions d’un affrontement permanent sur le radeau.

Il a donc choisi un équipage le plus diversifié possible.

Les participants sont de religions différentes et d’origines différentes.

Certains sont mariés et d’autres pas.

Tous en revanche sont plutôt jeunes, entre 20 et 35 ans, et ont été sélectionnés pour leur attractivité physique.

C’est un peu le radeau de la tentation avant l’heure…

Les participants ont même signé un contrat par lequel, le temps de l’expérience, ils soumettent leur âme, leur corps et leur esprit à l’anthropologue(2)

Du sexe et du sang pour Santiago

Toutes ces bizarreries n’ont qu’un seul but : faire éclater de violentes disputes à bord, dont Santiago Genovés serait le témoin direct.

Il est persuadé que la promiscuité, le danger permanent, la jeunesse de l’équipage et sa diversité sont autant de conditions pour créer une tension sexuelle à bord, avec la formation de couples, ce qui doit conduire à des disputes.

Il pourrait ainsi consigner dans son calepin tous les détails de la tragédie à l’œuvre.

Il aurait alors des recommandations à faire à l’ensemble de l’humanité pour qu’elle puisse trouver la paix.

En clair, Santiago considère l’équipage comme des rats de laboratoire. Révoltant !

Des questionnaires pour attiser la colère et la violence

Pour Santiago, il ne fait aucun doute qu’à un moment ou à un autre ses cobayes vont se jeter à la gorge les uns des autres(1,2).

Mais pour les guider un peu, il leur distribue toutes les semaines un questionnaire dont voici quelques questions :

  • Selon vous, qui doit quitter le radeau ?
  • Quelle est la personne que vous préférez ?
  • Avec qui souhaitez-vous coucher ?
  • Qu’est-ce qui pourrait vous inciter à la violence ? Et les autres membres de l’équipage ?

On se demande, à la lecture de ces questions, si l’anthropologue n’aurait pas été capable de leur donner lui-même des idées ou des armes pour qu’ils se tapent dessus !

 

La croisière s’amuse !

Toutes les semaines, l’équipage répond dûment aux questions du savant fou.

Et chaque jour qui passe, ils s’entendent de mieux en mieux.

Santiago s’en exaspère dans son journal.

Petit à petit, les relations se renforcent entre les uns et les autres. Une solidarité se crée.

C’est l’entente cordiale !

Les vidéos de l’expérience montrent que les participants sont souriants. Ils jouent à des jeux.

Ils passent un agréable moment.

Ce qui devait arriver, arriva…

La franche camaraderie qui s’installe et l’ennui mortel du quotidien au milieu de l’océan finissent par faire tomber les barrières.

L’équipage craque. Et certains se mettent à coucher ensemble.

Santiago est aux anges.

Le début du programme est acté.

Il n’attend qu’une chose : que vienne la violence, qui est la suite logique de ces premiers ébats au-dessus des flots.

Et alors ?

Rien du tout !

La violence ne vient pas. C’est le calme plat sous les tropiques.

Une expérience quasi mystique

Santiago s’agace.

Ses questionnaires deviennent plus personnels encore et plus agressifs.

Résultat, le groupe se met à détester l’anthropologue. Et ils n’hésitent pas à l’écrire dans leur questionnaire.

Et pendant que l’anthropologue ronge son frein, les autres sont en train de vivre le moment de leur vie.

L’une des participantes vit une véritable résurrection. Elle sort d’une relation conflictuelle et traumatisante. Elle a trouvé la paix.

Une autre d’origine noire-américaine à l’impression de revivre la traversée de l’Atlantique subie de force par ses ancêtres.

Elle en tire fierté et conscience de tout ce qu’elle peut faire de sa vie. Pour elle, l’expérience est très positive.

Dans l’ensemble, les relations entre les uns et les autres se sont renforcées. Ils sont tous devenus meilleurs amis !

L’avarie et le requin

Un jour, une avarie freine le radeau. Il faut plonger sous la coque. L’anthropologue décide de le faire lui-même.

Il prend la combinaison de la femme en charge de plonger et saute. Il manque de se noyer !

La nuit venue, c’est elle qui plonge et qui répare le bateau.

Santiago en est furieux et frustré. Il réunit tout le monde et leur reproche vertement de ne pas jouer le jeu, de ne rien faire pour que l’expérience aille dans le bon sens !

Un autre jour, le groupe pêche un requin.

Dans l’excitation, les participants éventrent la bête avec une hache.

Ça y est, Santiago en est persuadé, le vieil Homo sapiens, chasseur cueilleur et querelleur s’est réveillé. Il le note dans son cahier.
Mais les vidéos montrent, au contraire, une soirée détendue et conviviale…

Qui est le vrai capitaine du rafiot ?

Un matin, une tempête tropicale fond sur le radeau.

Maria, la capitaine, estime que l’équipage doit prendre refuge sur une île des Caraïbes toute proche.

Mais Santiago s’y oppose. Il craint qu’un contact avec la civilisation ne vienne perturber l’expérience.

Elle lui rétorque qu’elle ne veut pas risquer des vies humaines pour une expérience qui visiblement a échoué.

En effet, la traversée touche à son but. Et les espoirs de violence de l’anthropologue ne sont toujours pas justifiés.

Santiago lui retire le capitanat. Il demande à tout le monde d’entrer dans la cabine.

Heureusement, l’orage passe et se transforme en grosse averse. Personne n’est blessé.

Mais Santiago est désormais seul chef à bord.

Quelque temps après, un grand navire avance sur le radeau sans le voir.

Santiago panique. Il crie et secoue les bras mais le navire ne les voit pas.

Maria, de son côté, réunit l’équipage et fait tirer toutes les fusées de détresse. Le navire dévie alors sa course de justesse.

Le naufrage est évité. Merci Maria !

L’aventure devient publique

Pendant ce temps, le monde extérieur s’intéresse soudainement à l’épopée de l’Acali.

Et les journaux vont en faire leurs choux gras.

On parle alors de “radeau du sexe”.

Les médias insistent non pas sur la violence mais sur la dépravation que l’anthropologue aurait voulue.

L’histoire fait la une de certains journaux américains et l’université avec qui travaille Santiago se désolidarise du projet(1,2).

Santiago en est très affecté.

La prophétie aurait pu se réaliser

L’histoire aurait pu donner raison à Santiago.

Mais il n’aurait pas été là pour la raconter.

Car à force d’agacer ses camarades de voyage et tenter de semer la zizanie, il attire sur lui leur colère.

Et ce ressentiment collectif aurait pu se transformer en meurtre.

L’équipage aurait eu des discussions pour tuer l’anthropologue et aurait même échafaudé un plan pour que cet assassinat ressemble à un accident(2).

Finalement, ils renoncent à leur méfait.

La fin de la croisière se déroule sans accrocs.

Santiago boude et reste dans son coin tandis que les autres profitent des derniers instants de ce voyage initiatique d’un genre nouveau.

Quels enseignements peut-on tirer de cette histoire ?

Cette étrange aventure, d’il y a 45 ans, a inspiré la réalisation d’un documentaire nommé The Raft : l’expérience d’Acali (3).

Et, en effet, aussi dérangeante qu’elle soit, elle mérite que l’on y prête un peu attention.

1/ La science peut être folle

Le projet Acali a quelque chose de profondément scandaleux. Mettre en danger la vie d’un groupe d’êtres humains pour valider une théorie fumeuse est déjà aberrant.

Mais à cela s’ajoute l’immense orgueil de l’anthropologue qui veut à tout prix que ses cobayes s’étripent et semble disposé à toutes les manipulations possibles pour montrer qu’il a raison.

Et si l’équipage s’était réellement entre-tué ?

Il est donc bon de rappeler qu’il faut garder un œil critique sur ce que proposent les scientifiques.

Il est aussi utile de se souvenir que certains ne reculeront devant aucun sacrifice pour démontrer qu’une théorie scientifique est valable.

Une fois de plus la maxime de Rabelais est juste : “Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme.”

2/ Les êtres humains sont malléables et ne savent pas ce qui est bon pour eux

Les gens à bord étaient instruits pour la plupart. Ils avaient des compétences.

Pourtant, ils ont accepté de signer un contrat qui vendait leur âme et leur corps à la science sans broncher.

Ils ont accepté de répondre fidèlement toutes les semaines à des questions très personnelles.

Certains ont quitté leur conjoint ou leur équilibre familial pour se lancer dans ce périple incertain.

Ils ont remis leurs vies entre les mains d’un illuminé simplement parce qu’il y avait écrit “scientifique” sur le flambeau qu’il portait !

Les êtres humains sont fragiles et se laissent parfois guider par leurs illusions ou leurs désillusions.

Mais cette histoire vraie montre aussi le goût des êtres humains pour l’aventure et leur besoin de comprendre le monde.

3/ Le pire ne se réalise pas toujours !

Enfin, et c’est l’enseignement le plus réjouissant, même lorsque tout semble réuni pour qu’un désastre se produise, il arrive que les aventures humaines soient belles.

Les participants à la croisière semblent, malgré tout, avoir vécu un bon moment.

Ils ont appris à se connaître, ils ont vécu une belle épopée et ils se sont fait des amis pour la vie.

Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ?

Naturellement vôtre,

Augustin de Livois

 


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