Saint Soline : Comment sortir de la crise par le haut ? 

Chère amie, cher ami,

Ces dernières semaines, de lourds affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des manifestants à Sainte Soline(1).

Les forces de l’ordre sont intervenues avec des quads et des bombes lacrymogènes.

Cela ressemble à ce que nous avions connu avec les gilets jaunes.

Le bilan n’avait pas été bon. D’après un rapport d’Amnesty international, il y avait eu à l’époque 2500 blessés chez les manifestants et 1800 chez les policiers. Quelle hécatombe(2) !

La crainte des dirigeants de voir se développer une nouvelle ZAD 

La réaction musclée des autorités montre que le pouvoir exécutif a peur. Il craint une insurrection générale.

Et le risque existe. Il y a quelques jours, la mairie de Bordeaux a brûlé(3). Ce n’est pas rien.

Le degré d’incompréhension et de haine entre les parties prenantes grimpe.

À Sainte Soline, l’exécutif craint de voir se reconstituer une ZAD comme à Notre Dame des Landes où avait été prévue la construction d’un aéroport pour la ville de Nantes et le grand ouest.

Une “ZAD” est une “Zone d’aménagement différé” pour le gouvernement et une “Zone à défendre” pour les écologistes(4).

Les autorités délimitent un terrain pour y mener un projet, les manifestants s’en servent comme lieu de camping.

Ce scénario pourrait se reproduire à Sainte Soline.

Vote et débats : faire participer les citoyens aux prises de décision importantes

Le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes a été lancé en 1963, mais il a été abandonné en 2018.

Comment la crise a-t-elle été résolue ? Par un vote !

En 2016, la population locale a voté : 55% des habitants du département de Loire Atlantique étaient pour. En revanche, ceux qui étaient proches du site étaient résolument contre(5).

Le retour du jeu démocratique a en tout cas fait réfléchir tout le monde. L’opposition modérée s’est retirée de la lutte contre le projet.

Et le gouvernement, en fin de compte, ayant constaté l’évolution de l’opinion publique générale, a fini par enterrer le projet.

On devrait procéder de la même manière à Sainte Soline : il faut faire voter les habitants des départements de la Charente-Maritime et des Deux-Sèvres sur la question des grandes bassines.

Si le oui l’emporte, le gouvernement aura plus de légitimité à faire passer son projet, si c’est le non, il n’aura pas de déshonneur à reculer.

Vous me direz que des débats ont eu lieu au sein des assemblées locales d’élus.

Mais ce n’est pas la même chose.

Sur un sujet aussi important, qui a un effet durable sur le bien commun des habitants, il faut que tout le monde puisse s’exprimer.

Faire voter les habitants, c’est leur permettre de s’emparer pleinement du sujet. C’est aussi se donner les moyens d’essayer de parvenir à une décision juste.

Tant que l’impression générale est que ce projet n’est fait que pour une poignée d’agriculteurs, ce projet risque de ne pas paraître juste…

À quoi servent les grandes bassines du Poitou ? 

Le Poitou est un pays vallonné.

C’est une jolie campagne qui fait le lien entre la Vallée de la Loire et ses douceurs au nord, et des pays, ou pagi comme l’on disait autrefois, plus âpres au sud, quoique magnifiques(6).

Le Poitou mène à l’Angoumois et à la Saintonge et ses moulins(7). C’est une étape avant le Périgord puis l’Aquitaine. Je parle de l’ancienne.

À l’est, se trouve le Limousin et la Vendée vient border le Poitou à l’ouest. Avant la Révolution, la Vendée et le Poitou formaient une même province.

On s’y est souvent battu contre les Anglais.

Et de fait, les Poitevins savaient tirer leur avantage des luttes d’influences entre les rois de France et d’Angleterre(8).

Ces temps sont loin, mais le Poitou reste un très beau pays et très ensoleillé.

Que l’eau y manque aujourd’hui n’est pas tellement une surprise…

Les fameuses bassines litigieuses, ou réservoirs de substitution, sont situées près de Niort, chef-lieu du département des Deux-Sèvres(9).

Celle de Sainte Soline est un peu plus à l’est, toujours dans les Deux-Sèvres(79) mais près du département de la Vienne(86).

Le projet des grandes bassines est de puiser l’hiver dans les nappes phréatiques pour constituer de grands réservoirs que les agriculteurs pourraient utiliser l’été(10).

On construit de grands trous dans les champs que l’on borde de buttes(11).

Le réservoir s’étend sur 10 hectares. 16 autres bassines sont prévues dans les Deux-Sèvres(12,13).

Est-ce la bonne réponse à apporter au manque d’eau ? 

Ceux qui ont besoin de ces réserves d’eau sont notamment les producteurs de maïs, une plante tropicale qui a besoin de beaucoup de soleil et de beaucoup d’eau.

La vérité est que la France ne devrait pas faire pousser de maïs, ni dans le Poitou ni ailleurs. Il existe d’autres plantes fourragères traditionnelles.

La réalité du terrain est peut-être plus nuancée. Si ce projet existe, c’est qu’une partie des agriculteurs locaux y trouvent leur compte.

Mais il est certain que pomper des eaux souterraines et les exposer à la déperdition de l’évaporation semble être une aberration. 20 à 60% de l’eau risquerait de s’évaporer(12,13).

En outre, cette eau contenue peut être gâtée par des bactéries ou des algues alors qu’elle ne risque rien en profondeur.

Enfin, le climat se réchauffe. Dans quelques années, les réservoirs n’y suffiront plus. Cette solution ressemble à un cataplasme sur une jambe de bois. C’est une grande gabegie financée par le contribuable à 70%(13).

Comment garder de l’eau sur un territoire ? 

La réponse n’est pas en faisant de la monoculture à perte de vue !

Autrefois, le Poitou était une terre de polyculture et d’élevage extensif. Le fumier servait d’engrais. De grandes prairies servaient aux bovins(14).

Même après la Deuxième Guerre mondiale, dans une ferme traditionnelle, on faisait pousser du blé, de l’avoine, de l’orge, du méteil (un mélange de céréales et de vesce), des betteraves, des topinambours et de la vigne(14).

On élevait des pigeons, des lapins, des chèvres, des moutons, des canards, des oies, des poules, des pintades et quelques cochons.

Il y avait plus de haies. Aujourd’hui, comme un peu partout, la monoculture s’est souvent imposée.

Mais la révolution agricole des années 60 ne tient plus ses promesses. Les rendements stagnent ou baissent et on sait aujourd’hui que le coût environnemental de cette agriculture est considérable(15).

La seule solution réaliste est de faire évoluer l’agriculture(15).

Il s’agit de renforcer les filières d’agriculture biologique et raisonnée.

Il s’agit aussi de penser l’agriculture comme un élément de la nature, certes, façonnée de la main de l’homme et non comme une conquête sur la nature.

On pourrait aussi intégrer la notion de services environnementaux rendus par les agriculteurs qui seraient alors financés par les communautés locales.

Le travail de préservation de l’environnement et de la biodiversité serait alors reconnu.

Champagne, Lorraine, Bourgogne et Casamance…

Claude Bourguignon, biologiste, le rappelle dans ces conférences et ses interventions publiques : pour avoir de l’eau, il faut des arbres(15).

Ils freinent avec leurs racines, l’écoulement des eaux si bien que la terre autour reste humide et, par ailleurs, ils sont capables d’appeler les nuages en émettant des signaux chimiques(16).

C’est extraordinaire !

Claude Bourguignon compare la Champagne déboisée avec la Lorraine et la Bourgogne verdoyantes.

Il pleut 600 mm par an en Champagne et 800 mm par an en Bourgogne et en Lorraine.

Il y a aujourd’hui 16% de forêts dans le Poitou. Il est possible qu’il faille encore augmenter ce chiffre pour préserver l’eau(17).

À moyen-terme, ce serait bien plus efficace que de construire des bassines dont l’eau s’évapore.

Au Sénégal, en Casamance, c’est avec des arbres que l’on lutte contre la sécheresse, pas des bassines ! Ce projet s’appelle la grande muraille verte. L’objectif est de repousser les frontières du Sahel(18).

Le précédent espagnol 

L’Espagne, bien avant la France, a dû faire face à la question de la gestion de l’eau.

En Extramadure, une grande région semi-désertique à l’ouest du pays qui touche le Portugal, des réservoirs d’eau ont aussi été introduits(19,20).

Les agriculteurs ne s’en plaignent pas.

Mais les écologistes constatent que les réserves de substitution en eau et les dérivations de fleuves dans le pays ont atteint leurs limites.

On ne peut pas aller plus loin.

Certains milieux naturels sont en danger. Et le Tage, le grand fleuve qui traverse l’Espagne risquerait d’être à sec à certains endroits(19,20).

Bref, la situation y est tendue.

Et les piscines de substitution ne semblent pas avoir changé la donne, même si elles sont parfois nécessaires.

L’avenir est donc aux arbres et non aux bassines !

Naturellement vôtre,

Augustin de Livois

 


Références

  1. https://www.dailymotion.com/video/x8jnd69
  2. https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/gilets-jaunes-un-bilan-inquietant
  3. https://www.sudouest.fr/gironde/bordeaux/debordements-et-incendie-a-la-mairie-de-bordeaux-neuf-individus-deferes-14567813.php
  4. http://outil2amenagement.cerema.fr/la-zone-d-amenagement-differe-zad-r339.html
  5. https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/06/26/notre-dame-des-landes-premiers-resultats-pour-le-referendum_4958521_3244.html
  6. https://books.openedition.org/ausonius/3888?lang=fr
  7. http://www.histoirepassion.eu/?+-Moulins-+
  8. https://leblogduherisson.com/aquitaine-3-siecles-sous-la-couronne-dangleterre/
  9. https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/bassines-ce-qui-a-change-depuis-le-projet-initial-2-2
  10. https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/mega-bassines-dans-les-deux-sevres-mais-au-fait-une-bassine-c-est-quoi_5708438.html
  11. https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/agriculture_raisonnee.php4
  12. https://www.youtube.com/watch?v=sb31-XpQwAw
  13. https://www.linternaute.com/actualite/societe/2855378-reponse-efficace-ou-menace-environnementale-10-questions-reponses-sur-les-mega-bassines/2859788-financement-construction
  14. https://www.persee.fr/doc/noroi_0029-182x_1982_num_113_1_4027
  15. http://www.monjardinenpermaculture.fr/pages/soigneurs-de-terre
  16. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/les-arbres-elements-cles-de-la-formation-des-nuages_13889
  17. https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/vf_fiche_foret_poitou-charentes_rvb_bdef.pdf
  18. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20151117-grande-muraille-verte-senegal-arbres-secheresse-environnement-faune
  19. https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/mega-bassines-comment-ca-se-passe-en-espagne_5733515.html
  20. https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/deux-sevres/niort/bassines-en-aragon-l-exemple-espagnol-d-une-gestion-publique-et-pour-tous-de-l-eau-est-elle-une-solution-2734122.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

* Votre adresse email restera strictement confidentielle et ne sera jamais échangée. Pour consulter notre politique de confidentialité, cliquez ici.

[shareaholic app="recommendations" id="26947312"]